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Projet de repeuplement des forêts en France : « Il ne faut surtout pas de plantation monospécifique »

Le spécialiste d’écologie fonctionnelle Thierry Gauquelin décrypte le projet du gouvernement de planter 50 millions d’arbres pour parer au changement climatique.

Propos recueillis par 

Publié le 18 décembre 2020 à 20h47, modifié le 19 décembre 2020 à 14h41

Temps de Lecture 4 min.

A Bollwiller (Haut-Rhin), le 4 novembre 2015.

« Le volet de repeuplement des forêts est, je pense, le plus grand depuis l’après-guerre », a déclaré le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, en présentant à la chaîne Cultivons-nous, mercredi 16 décembre, le plan visant à planter 50 millions d’arbres en France. Il s’agit de préserver la filière bois en permettant aux forêts de résister au changement climatique, mais aussi d’utiliser les arbres pour préserver le climat. « La forêt, puits de carbone, est au cœur de la stratégie nationale bas carbone pour respecter nos engagements de neutralité à horizon 2050 », souligne le chapitre « Transition agricole, alimentation et forêt » du plan de relance présenté par le gouvernement en septembre.

Que penser des bénéfices attendus de ce programme et des modalités de sa mise en œuvre ? Décryptage avec Thierry Gauquelin, spécialiste d’écologie fonctionnelle et professeur émérite à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie de l’université Aix-Marseille.

Que pensez-vous de l’initiative consistant à planter 50 millions d’arbres en France ?

Thierry Gauquelin : Il y a une chose essentielle à dire, c’est qu’une plantation n’est pas une forêt, c’est un écosystème beaucoup plus simple, qui ne rend pas les mêmes services. La biodiversité, les processus écosystémiques sont beaucoup plus complexes dans la forêt : ce sont des milliards d’échanges de matière et d’énergie entre la faune, la flore et le sol. C’est une dynamique très complexe, avec des chaînes trophiques, des organismes qui se mangent les uns les autres. Alors qu’une plantation, c’est la même chose, en gros, qu’un champ de maïs.

En France, sans planter, la forêt est naturellement en très forte augmentation. La superficie de forêt naturelle a presque doublé en deux cents ans, de 9 millions d’hectares à 16 millions ou 17 millions aujourd’hui, soit 30 % de la superficie de la France métropolitaine. C’est une excellente nouvelle, liée essentiellement à la déprise agricole et pastorale, à l’abandon de parcours [terrains agricoles à faible rendement] et de territoires par les agriculteurs. Et ce n’est pas le fait des plantations.

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Que faut-il planter ?

Il ne faut surtout pas de plantation monospécifique, et recommencer des erreurs comme la forêt de pins des Landes. De nombreux travaux montrent que, quand on a plusieurs espèces en mélange, on a des forêts beaucoup plus résilientes par rapport au changement climatique, fonctionnant mieux. La litière qu’elles forment au sol pourra être prise en charge par des organismes très différents, complémentaires.

On parle beaucoup dans les Vosges des épicéas qui dépérissent à cause des scolytes. Si on avait des peuplements avec différentes espèces, les choses se seraient peut-être mieux passées. Au Portugal, à partir des années 1970, des milliers d’hectares d’eucalyptus ont remplacé les chênes-lièges, avec pour conséquence des incendies meurtriers, car l’eucalyptus est une espèce très inflammable.

Ensuite, il faut privilégier les espèces autochtones, et non pas des espèces exotiques introduites, comme on l’a beaucoup fait avec le pin Douglas. Il y a des initiatives pour importer du cèdre de l’Atlas en disant : « Il sera adapté au climat de dans cinquante ans. » Je pense que ce n’est pas une bonne idée. Il y a suffisamment de diversité génétique aujourd’hui dans nos forêts, on peut, par exemple, planter des chênes du sud de la France dans le nord : c’est la même espèce. On n’a pas besoin d’aller chercher des espèces exotiques, qui n’existent pas chez nous naturellement.

Où pourrait-on installer ces arbres ?

Pas n’importe où. Par exemple, pas dans des milieux ouverts, comme les pelouses sèches avec orchidées, qui sont des milieux dont la biodiversité est extrêmement intéressante, même si elle résulte d’activités humaines pluricentenaires.

Et en ville, comme souhaite le faire Anne Hidalgo à Paris avec 170 000 plantations ?

C’est une bonne idée à deux niveaux. D’abord, ça contre l’effet « îlot de chaleur », grâce au couvert et à l’installation d’un microclimat. Ensuite, ça diminue l’imperméabilité du sol, car là où vous plantez un arbre, vous êtes bien obligé de remplacer le béton par de la terre, où l’eau va pouvoir entrer et favoriser la biodiversité. Bien sûr, une « forêt » doit avoir une superficie minimale pour accueillir des oiseaux et des insectes. On pourrait, dans un périmètre à cinquante kilomètres des grandes villes, reconstituer des forêts, pour avoir de vraies forêts d’ici deux cents à trois cents ans, qui rendraient beaucoup de services.

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Que pensez-vous des plantations gigantesques revendiquées par plusieurs pays, à l’instar de l’Inde – 50 millions d’arbres en un jour ?

Il faut vraiment voir ça dans le cadre d’un contexte social et agricole. On ne peut pas dire qu’on va planter des arbres là où se trouvent déjà des activités pastorales. Et ces arbres, il faudra les suivre. En Afrique, avec la Grande Muraille verte, on a planté des arbres, mais après il n’y a eu personne pour les arroser, les entretenir… Ces actions doivent s’inscrire dans une gestion durable des terres.

Faut-il voir dans les arbres des alliés efficaces contre le réchauffement climatique, puisqu’ils captent du CO2 ?

On a calculé que la forêt, en France, capte chaque année 10 % de nos émissions de CO2 ; 10 %, ce n’est déjà pas mal, ça montre l’efficacité de la forêt dans le stockage de carbone. Mais il faut pouvoir pérenniser ce stock, ne pas brûler le bois [constitué lui-même à 50 % de carbone] si on l’exploite. On peut favoriser les constructions en bois, qui « fixent » le carbone pour plusieurs dizaines d’années au moins.

Il est aussi extrêmement important, à terme, de fixer ce carbone dans le sol. Il y est stable et va pouvoir y rester des centaines d’années. Les vieilles forêts, avec des arbres morts, sont de très bons puits de carbone. C’est tout bénéfice, car le carbone qui reste dans le sol l’enrichit. Dans le cadre de plantations d’arbres, il ne faut pas trop perturber le sol, qui met des centaines, voire des milliers, d’années à se former. Si on détruit avant de planter, si on le perturbe trop, ça va être catastrophique.

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